
Un peuple gardien de multiples îles, protecteur de l'océan et des vies marines.
La France, grande puissance coloniale à travers l'histoire de l'humanité, a appelé mon pays "Polynésie française" ; ici, je l’appellerai Fenua. Ce mot se traduit par "pays" ou "territoire" et c'est surtout ce mot que j'entends lorsque les habitant·e·s de mon île parlent de chez eux·elles.
Le Fenua, c'est 118 îles réparties en 5 archipels sur une surface grande comme l’Europe. Nos îles et notre océan sont le foyer et le sanctuaire de plus de 280 000 êtres humain·e·s et d'innombrables autres espèces et individus. Certain·e·s trouvent refuge chez nous, où ils·elles sont rigoureusement protégé·e·s, comparé·e·s à d'autres endroits du monde où ils·elles ne sont que des proies ou de la marchandise. Nous sommes l’un des rares et derniers abris où la vie peut s'épanouir loin des pêches industrielles massives et cruelles. Notre océan est un bien commun de la planète Terre, un précieux lieu de vie pour les êtres vivant·e·s d'aujourd'hui et de demain.
Au cours des deux derniers siècles, nous avons fait face à de grandes menaces pour nos peuples, notre culture et notre dignité. Elles continuent aujourd'hui de nous tuer, de contaminer notre chair et d’altérer la vie de nos générations futures. Il y a eu la colonisation, les 193 essais nucléaires et l'aliénation économique par l'État français. Aujourd'hui, plus que jamais – et bien moins que demain –, nous sommes menacé·e·s par les crises écologiques causées de l'autre côté des océans et qui viennent nous atteindre : le réchauffement et l'acidification des océans, la pollution plastique et le changement climatique.
Notre chagrin est à la hauteur de notre amour pour notre culture, nos îles, nos océans et celles et ceux qui y vivent et souhaitent y voir grandir leurs enfants. Le réchauffement de l'océan a déjà entraîné des épisodes de blanchissement corallien, où plus de la moitié des couleurs de nos lagons ont disparu. Si le réchauffement global dépasse les 1,5 degré, ce sont 70 % des coraux que nous perdrons ; et s'il dépasse 2 degrés, ce seront 99 %. Nos récifs coralliens sont les piliers de toute la vie marine autour de nos îles. Les perdre, c'est assister à un effondrement autour de nous ; c'est faire peser la faim sur nos peuples.
Comme pour nos frères et sœurs insulaires, la montée des eaux menace jusqu’à l'habitabilité de nos îles. Au Fenua, nous abritons 84 atolls dont l'altitude moyenne varie entre 1 et 3 mètres. Ce sont plus de 17 000 habitant·e·s de ces atolls qui risquent de devoir quitter leur île, leur mode de vie ancestral et toute leur histoire d’ici la fin du siècle. Arracher un peuple à son île habitée depuis des siècles et des générations, c'est ne pas permettre aux enfants de demain de se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres, ni de léguer ces terres et ces arbres qui ont nourri toute une lignée. Cette fracture est probablement une des choses les plus violentes que notre peuple puisse connaître.
Notre espoir de vie harmonieuse, s'il s'assombrit dès un réchauffement global de 1,5 degré, semble complètement disparaître au-delà de 2 degrés. D'après un récent rapport de l'ONU, les États membres sont encore loin de respecter leurs engagements, et le réchauffement global se dirige vers une trajectoire de plus de 3 degrés d’ici 2100. Nous ne laisserons pas nos îles disparaître, ni notre territoire devenir un lieu hostile pour tou·te·s ceux·celles qu'il a protégé·e·s jusqu'à présent. Entendez notre détresse et notre détermination : ce sont des millénaires d'histoire et notre responsabilité envers les générations futures qui nous portent.
Notre rôle de gardien·ne·s nous oblige à tout faire pour limiter le réchauffement bien en deçà de 2 degrés, idéalement à 1,5 degré. Des efforts immenses et à l'échelle mondiale sont nécessaires immédiatement afin d'aider les territoires les plus vulnérables à s'adapter aux impacts du changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu'à atteindre la neutralité carbone. Cela vaut particulièrement pour les principaux responsables de cette crise climatique, les pays les plus riches, qui ont pollué notre monde commun pour s'industrialiser, ainsi que les grandes entreprises qui continuent d’investir dans des projets d'énergies fossiles. Mon pays et d'autres nations subissent une injustice profonde, la disproportion entre notre contribution au changement climatique et les impacts dévastateurs qu'il aura sur nous.
Cette crise est la meilleure occasion – et aussi la dernière – de nous unir pour faire primer la sauvegarde de notre héritage commun face aux profits de quelques-un·e·s. Soyons à la hauteur de celles et ceux que nous aimons et protégeons.
Mauruuru, merci,
Une fois que tu as pris connaissance du manifeste et de nos revendications, n'hésite pas à signer la pétition ! C'est utile pour nous de pouvoir dire que plusieurs personnes sont derrière nous !